Jason Carter - J'ai déjà mixé un morceau pour l'album de Grand Duchy. Il s'appelle Black Suit et au départ, il devait être utilisé dans le film Spiderman 3. Mais Violet et Charles ont eu très peu de temps pour faire cette chanson, et je ne suis pas sûr qu'ils aient pu la terminer à temps. Donc elle n'a pas pu apparaître dans le film, et Charles a dit "Bon, on n'a qu'à la mettre sur l'album de Grand Duchy." Du coup, c'est la seule chanson de l'album qui soit terminée et mixée pour le moment. Pour le reste de l'album, aux dernières nouvelles ce sera peut-être moi qui le mixerai en mars, et à partir de ce moment-là ils seront sans doute prêts à le sortir. Quant à savoir s'ils le confieront à un label, il faudra poser la question [à Black Francis], je ne sais pas. J'espère qu'ils feront une tournée. Ce serait cool. Ils pourraient être comme la famille Partridge. Les enfants pourraient apprendre à jouer les chansons, ça serait la "famille Grand Duchy".
Dan Schmid - Ce serait vraiment bien qu'ils fassent une tournée pour cet album. C'est un excellent disque, vraiment fun. Vous allez aimer.
Jason - Violet est géniale. Bien sûr, Frank est le roi, mais elle tient vraiment son rang.
Dan - C'est la Grande Duchesse.
Jason - C'est ça ! La Grande Duchesse ! Leur relation est une véritable source d'inspiration. C'est très touchant à voir en tournée. Ça me donne un peu le mal du pays, il est toujours au téléphone avec elle. Et le pauvre Dan, qui lui-même est récemment devenu papa du plus adorable des bébés...
Blackolero - Nous avons parlé à Ding et il nous a dit que vous aviez enregistré à Manchester et ailleurs.
Jason - C'est Charles qui était à Manchester.
Dan - Charles a enregistré à Manchester et nous avons tous fait un petit quelque chose à Portsmouth.
[NDLR : Jason a posté deux courtes vidéos de cette session sur son blog www.skippyondrums.com]Blackolero - Et quand nous avons demandé à Black Francis ce qu'il avait enregistré, il a répondu
"Ah, une chanson pour ma femme pour la Saint-Valentin"...
Jason (excité) - Nous ne savions pas ça !
Dan - Eh bien, tu as entendu les paroles maintenant, c'est un magnifique récit de voyage... très chouette chanson.
Jason - Mais si tu avais su ça pendant l'enregistrement, est-ce que ça aurait modifié ton approche de cette chanson ?
Dan - Je ne m'attendais pas à avoir la moindre idée du sens de la chanson avant le lendemain
[rires]. Pour le peu que j'en sais, c'est comme ça qu'il travaille : il disparaît, il va se promener dans la rue, écrit un couplet, revient et travaille une mélodie, ou bien il repart et écrit un autre couplet... Je lui ai demandé, avant d'enregistrer le violoncelle, "Est-ce que je peux entendre ta partie vocale pour la reproduire sur le violoncelle ?" et il m'a répondu "Tu n'as qu'à jouer ça : didadidum, didadidum." Donc j'ai fait ça, en ajoutant deux, trois fioritures pour lesquelles il avait laissé de la place.
Blackolero - Vous jouez donc du violoncelle sur cette chanson ?
Dan - En fait, je joue plus ou moins de la basse sur un violoncelle, en pinçant les cordes.
Blackolero - Ça devrait être intéressant.
Jason - C'était une session intéressante. Quand on a commencé, je me disais qu'on allait perdre notre temps. Mais le résultat est bon.
Dan - Oui, j'aime vraiment cette chanson, surtout pour la façon dont il la chante, tout en retenue.
Jason - Ça a vraiment donné quelques chose de bien. Il y avait plein de percussions bizarres qui traînaient dans le studio, une espèce de truc en bambou avec plein de facettes... mais il n'y avait pas de vraie batterie, seulement une batterie électronique qui ne faisait pas du tout l'affaire. Donc on me demande "Tu as une batterie avec toi ?" "J'ai une caisse claire." Du coup, la batterie sur ce morceau se limite à une espèce de rythme de marche joué sur une caisse claire... mais au final, ça fonctionne. J'ai remarqué qu'à chaque fois que je me suis trouvé en studio avec Charles, je commençais par me dire "Okay, je ne vois pas comment ça pourrait marcher, ce truc qu'il veut faire." Mais ça finit toujours par marcher, tout se met en place et le résultat a toujours un petit quelque chose de spécial. C'était un peu comme ça avec
Bluefinger, c'était comme ça sur
Svn Fngrs... L'enregistrement de
Svn Fngrs a vraiment été une expérience incroyable.
Blackolero - Qui a joué dessus ?
Jason - Charles et moi avons tout enregistré ensemble,
live, et ensuite Violet est venue à mon studio et elle a pratiquement enregistré toute la basse en deux heures. Charles écrit exactement de la manière qu'a décrite Dan : tout à coup, il lui vient une idée et... À l'origine, on ne devait enregistrer qu'une face B (
The Seus), et il a dit "Hé, faisons une face B de 45 minutes, une seule chanson!"
[rires], et de fil en aiguille, c'est devenu sept chansons. Il m'a simplement appelé pour me dire "Tu veux venir à Eugene pour enregistrer pendant quelques heures ?" Nous avons donc enregistré l'essentiel à Eugene, et c'était censé n'être qu'une petite session en vitesse, mais encore une fois, comme pour
Bluefinger, c'est devenu "Allez, on fait un disque entier ! Tu es occupé demain ? On n'a qu'à tout enregistrer demain. On peut mixer le lendemain, histoire d'être tranquille ?" "Ouais, pas de problème - tu as des mélodies, des paroles?" "Non non non non
[rires], t'inquiète pas pour ça." Et alors qu'on avait enregistré, je ne sais pas, trois ou quatre titres de
Svn Fngrs, et que je me disais "Et maintenant ?",
[il me dit] "Va fumer une cigarette dehors, j'ai besoin d'écrire une chanson"
[rires]. Mais personne n'écrit une chanson en dix minutes ! "J'ai une idée, vas-y, va fumer et reviens au studio après." Je reviens, on fait la chanson... "Retourne fumer une cigarette !"... Un génie !
Dan - Avant que je ne commence à apprendre les chansons de
Svn Fngrs, il m'a dit qu'il avait un concept pour ce disque : ces espèces de personnages protéiformes, ces hommes qui n'existent plus - Theseus -
the Seus... Toutes les chansons parlent de ces hommes quasi-mythiques, nés de "doubles orgasmes" et d'une "double semence", et ce sont tous des personnages de contes. Il m'a dit : "Je trouve beaucoup plus facile d'écrire à partir d'un concept que d'essayer d'inventer un truc pour chaque chanson. J'ai déjà un cadre à l'esprit." Je crois que cette architecture lui permet d'avoir une charpente qu'il n'a plus qu'à remplir. Je ne sais pas comment il enregistrait il y a dix ans, mais je n'ai jamais vu personne faire ce qu'il fait.
Jason - Maintenant que Dan a littéralement tout balancé, allez-vous publier ce qu'il a dit ?... C'est toute la mystique du disque, personne n'avait encore compris ! Personne n'avait pigé
The-Seus ! Prenez les deux mots et recollez-les : qu'obtenez-vous ?
Theseus (Thésée) !
Dan - Oh, j'ai honte !
Jason - C'est cool que ça vienne de toi Dan ! Tu l'as vraiment bien dit.
Blackolero (à Jason) - Parlons du projet avec Charles Normal et Larry Norman. Je crois que c'était avant tout un projet de Charles Normal, et quand nous vous avions parlé en juin, il tenait beaucoup à le garder secret.
Jason - Je peux vous dire tout ce que vous voulez savoir à ce stade. C'est la reprise d'un album de Lee Hazlewood intitulé
Trouble Is A Lonesome Town. C'est un album-concept, l'un des premiers albums-concept jamais enregistrés, qui parle de la vie d'une petite ville. Hazlewood raconte l'histoire, joue une chanson, reprend la narration, joue une autre chanson et ainsi de suite. Cela raconte toute l'histoire d'une ville, et c'est un disque absolument brillant. C'est Mark Lemhouse, un grand musicien comme nous le savons tous, qui a eu le premier l'idée de ce disque. Il discutait avec Charly (Normal) et ils se sont dit "Et si on faisait une reprise de cet album ? Invitons des grands noms, ce sera marrant ! Faisons un truc un peu barré !" Au début, nous envisagions de porter des déguisements délirants, avec des sombreros, comme des mariachis, et de tourner incognito. On n'aurait rien dit à personne, on serait simplement partis en tournée et on aurait vu qui pigeait le truc. Bref, nous avons demandé à Charles
[Black Francis] de participer et il a accepté. Le frère de Charles Normal, Larry Norman, est également dans le coup, et maintenant nous avons été rejoints par Isaac
[Brock] de Modest Mouse.
Blackolero - C'est donc de là que sont venues les rumeurs qui disaient qu'Isaac Brock enregistrait avec les Catholics !
Jason - Je sais que quelqu'un a écrit ça, c'était dans
Rolling Stone ou je ne sais quoi ? En tout cas c'est faux, les Catholics ne font pas partie du projet, c'est une production Slackertone Records. Le label appartient à notre groupe
[Guards Of Metropolis] : les deux filles
[Kristin Blix et Silver Sorensen], Charles Normal et moi. Ce sera le troisième disque à paraître sur notre label, mais nous n'allons probablement pas le sortir avant l'automne. Je sais qu'il est chez Isaac à l'heure actuelle, et Modest Mouse ne fait pas beaucoup de concerts en ce moment, donc il est peut-être en train d'enregistrer. Il pourrait avoir terminé quand je rentrerai. Isaac est à fond dans ce projet. Il trouve vraiment l'idée géniale. Sufjan Stevens voulait vraiment participer, mais à cause de son emploi du temps, il a dû renoncer. Mais Isaac est super, et puis il vit aussi à Portland. Ça nous plaît bien que tous les participants soient du même coin.
Blackolero - Nous avons lu que votre facteur participait aussi...
JC - Oh oui ! C'est lui le narrateur. Il s'appelle Jerry, vous pouvez l'écrire : Jerry le Facteur. Et il est génial, c'est un vrai personnage, il parle comme ça
[prend un accent exagérément traînant] : "Saaaaalut les gaaars, coooomment çaaa vaaa ? Voilà vot'couuuurrier." "Salut Jerry, tu entres boire un coup ?" "Sûûûûr, j'vais eeentrer." C'est devenu un grand ami, sa famille passe Thanksgiving avec nous, tout ça.
Blackolero - Donc, vous avez aimé sa voix et vous avez voulu l'avoir sur le disque ?
Jason - On a simplement pensé qu'il serait parfait pour ce rôle, on était là à se dire "Mais à qui va-t-on pouvoir demander de faire la narration ?" Il a une belle voix, et puis il donne une vraie dimension "Amérique profonde" à cette narration, ça colle parfaitement. Ça va être cool. Je crois que ça va plaire aux gens. On a débuté ce projet longtemps avant la mort de Lee Hazlewood, et je crois que quand on vous a parlé en juin, à l'époque, Charly et moi on se disait, "Il faut qu'on finisse cet album, parce que Lee Hazlewood est en mauvaise santé", et il est mort un ou deux mois plus tard.
Blackolero - Il faudra aussi qu'on fasse une interview des Guards Of Metropolis un de ces jours.
Jason - Oui ! On est en train d'enregistrer le deuxième album, et il sera très différent
du premier [Alligator]. Cette fois, on s'est dit "N'essayons pas de faire un disque vraiment pop, ou vraiment commercial", parce que c'est ce qu'on a fait avec le premier. La frontière a toujours été mince entre essayer de faire un disque qui se vende et s'amuser malgré tout à le faire. Il nous semblait avoir réussi à concilier les deux. Aujourd'hui, le disque que nous sommes en train de faire, peu importe qu'il se vende ou pas, on veut simplement se faire plaisir en l'enregistrant. Et s'il est aussi "vendable" que le premier, tant mieux. Mais sinon, on se sera quand même bien amusés.
Propos recueillis par jediroller et Ray la Manta, le 16 février 2008 à l'Élysée-Montmartre
Traduction : jediroller
P.S. en réponse au commentaire d'Alex : nous avons posé la (bonne) question de "Fort Wayne" à Jason. Réponse : c'est un nouveau mix de cette chanson qui apparaîtra sur l'album.